Une vieille dame est venue me chercher en plein cours de Littérature pour me dire que le doyen souhaitait me voir. J'en fus très surprise, pourquoi cet homme s'intéressait-il à moi? En tout cas, je suivis la femme qui me précédait. L'avoir perdue, je me serais perdue. En fait, non, puisque ce n'est pas ma première année ici, mais je n'avais aucune idée d'où se trouvait le bureau du doyen. Le couloir était vide, preuve que la plupart des autres étudiants étaient en classes, écoutant les professeurs et notant tout ce qui sortaient de leur bouche sur leur mac dernier cri. Une porte s'ouvrit, je pénétrai dans un genre de vestibule. Il y avait trois autres personnes, dont l'une était Danielle, une américaine de première année. Je ne la connaissais pas personnellement, mais son visage m'était connu du moins. Je pris place à ses côtés, comme la secrétaire derrière sont bureau me l'avait suggéré d'un signe de main, trop occupée à prendre des appels jugés importants. J'étais bien silencieuse pour une fille habituellement bavarde. Bref, après un peu d'attente, je fus convoquée dans le bureau du-dit doyen. Encore une fois, je dus m'assoir, mais cette fois ci, le fauteuil en cuir m'apparaissait beaucoup plus invitant. Je me tus jusqu'à ce que l'homme aux cheveux grisonnants prenne la parole.

DOYEN ▬ « Bonjour ! Vous devez être Miss O'Shea, étudiante en deuxième année. Je suis ravi de vous rencontrer. Vous devez vous demander pourquoi je vous ai convoqué. Simple réponse, je souhaite juste faire plus ample connaissance. Comment s’est passé votre rentrée ? »

Qu'est-ce qu'il en avait à faire de ça lui ? Bon, peut-être qu'il tenait à savoir si son université était toujours aussi accueillante et agréable, mais tout de même. De là à faire manquer des bouts de cours aux étudiants...

NOREEN ▬ « Bonjour Monsieur. Si vous voulez savoir, tout s'est bien passé. Étant donné que c'est ma deuxième année, je suis habituée à la bâtisse, aux élèves, au professeurs. Il y a toujours quelques nouveautés, mais rien de bien dur sur l'adaptation. En fait, après tout l'été, cela me plaisait de revenir ici, de revoir mes amis, de suivre de nouveaux cours avec de nouveaux enseigants, de parler à ceux qui m'ont enseigner l'année passée. La seule chose désagréable, c'est l'envahissement des premières années, qui se perdent à tout bout de champs. Mais évidemment, si l'un d'eux me demande leur chemin, je les aide. C'est seulement que parfois, ça crée un genre de cohue. Évidemment, ce n'est rien et c'est normal pour les premiers jours. Je le comprends très bien, vu que j'était à leur place la dernière année.»

DOYEN ▬ « Oh, je vois. Je suis ravi que ça se soit bien passé. Pouvez-vous m’en dire plus sur vous ? »

C'était assez personnel comme question ça. Qu'est-ce que ça pouvait bien changer dans sa vie si j'étais indoue ou greque ou bien quel était le jour de mon anniversaire!

NOREEN ▬ «Et bien, si cela vous intéresse vraiment... Donc, je suis née à Greystones, près de Dublin, un 24 juillet, ce qui fait de moi une vraie irlandaise. Mes parents ont tenu à m'appeller Noreen puisqu'il s'agissait du prénom de ma grand-mère maternelle, qui selon eux, était presque une Sainte. Je ne peux pas juger, puisqu'elle est décédée avant ma naissance, mais j'ai entendu beaucoup de bien sur elle.»

DOYEN ▬ « Fantastique. Je vous ferai bien le même genre de description, mais je doute que vous trouviez ça passionnant. Alors, dites moi, pourquoi avoir privilégié notre magnifique université ? »

NOREEN ▬ «Si vous voulez tout savoir, je crois que cette école est la meilleure d'Irlande. Comme je suis aussi très patriotique, je n'avais pas envie de quitter mon beau pays. Par ailleurs, j'avais entendu bon nombre de commentaires élogieux sur les cours, le campus, la compétante des professeurs et tout le toutim. En gros, cette université est très réputée, cela me plaisait. J'aime quand les choses sont biens faites, bien organisées, et je savais qu'ici, ce serait le cas. De plus, je savais que mon programme était ici offert mieux que partout en Grande-Bretagne. Je n'ai pas voulu manquer ma chance, alors j'ai fait une demande et me voilà!»

Dieu que je pouvais être une bonne menteuse. Je m'impressionnais moi-même parfois. Tout n'était que bobards, sauf peut-être la partie où je dis être patriotique, puisque c'est vrai que j'aime mon pays. Sinon, je suis ici parce que j'avais envie de m'éclater dans la capitale anglaise, de sortir dans ses clubs et de boire presque tous les soirs. Je voulais de la liberté et beaucoup de fiestas. Et qu'en fait, l'Université de Westminster, à Londres, m'a refusée. Alors adieu la grande ville, et tout le tralala. J'ai fait une demande de dernière minute pour venir ici et j'ai été acceptée. Une chance, parce que mes parents m'auraient tuée. Mais, à mon plus grand bonheur, les gens ici font pas les choses à moitié quand ils parlent de fêtes.

DOYEN ▬ « Je suis flatté. Peut-être pourriez-vous m’en dire un peu plus sur votre famille et votre enfance ? »

Il en posait des questions lui! Cela me semblait de plus en plus long et pénible. J'avais hâte de sortir de ce bureau qui sentait le vieux. Et en disant vieux je parle de l'homme, pas les choses anciennes, quoiqu'il l'est. Bref, même si le sujet de mon enfance n'était pas douloureux du tout, je n'avais pas trop envie qu'il en sache plus sur moi que mes amis. Il y a des limites à s'imiscer dans la vie personnelle des gens, non ?

NOREEN ▬ «Ma mère, Dara, était institutrice à la petite école et mon père, Coileán, exerçait la profession de menuisier. Ils adoraient tous deux leurs métiers, et passaient beaucoup de temps à la maison. Nous étions très tissés. Quelques années après ma naissance j'ai eu un frère, Darren. Je m'occupais de lui comme de la plus précieuse de mes poupées. Nous faisions tout ensemble. Ce que nous préférions, c'était les insectes. On adorait trouver des crapeaux visqueux, des sauterelles, des araignées, verres de terre. On les mettaient dans des bocaux et on les observait. J'ai même déjà attrapé une sangsue, et ce jour là, j'en était très fière. J'aimais beaucoup la boue, au désespoir de ma mère, qui se devait de laver mes robes sans cesse. Elle ne m'a jamais grondée pourtant, elle me trouvait plus drôle qu'autre chose je crois. Quand j'était jeune, le matin était mon moment préféré de la journée. Je regardais mon père lire son journal auquel je ne comprenais rien. Je me disais que quand je serais grande, je ferais comme lui. Je crois que c'est ce qui m'a donné goût à la lecture. Il avait l'air si concentré, si absorbé dans ce qu'il lisait. Cela me fascinait, tout simplement. »

DOYEN ▬ « Charmant ! Avez-vous toujours été comme ça ? »

NOREEN ▬ «Et bien, du plus loin que je me souvienne, oui. D'ailleurs, je suis toujours un peu comme j'étais enfant. Je n'ai pas réellement changer. C'est évident que je ne joue plus dans la boue à courir après de drôles de bestioles, mais j'aime toujours les insctes et animaux étranges. Je crois que je suis restée la même, mais simplement que j'ai évolué, grandit, maturé. »

Cétait bien beau les questions, mais je commençais à voir jaune tellement j'avais envie de faire pipi!

DOYEN ▬ « Je vois. Mis à part vos études, vous avez une ambition particulière, une passion ? Autre chose ? »

NOREEN ▬ «En fait, après mes études, j'aimerais enseigner le français avec les plus jeunes. C'est l'une de mes ambitions, mais ce que j'aimerais le plus, c'est faire de la musique tous les jours, en m'améliorant sans cesse et en faisant plaisir aux gens qui m'écoutent, qu'ils soient 10 ou 10 000. Le chant et la guitare prennent une grande place dans ma vie. J'ai toujours été ambitieuse, organisée. J'aime planifier des choses que j'aimerais faire dans ma vie. Et comme je suis déterminée, je sais que je ferai la plupart des choses qui m'auront tenu à coeur, sauf si la mort m'en empêche. C'est sur qu'il m'arrive d'être un peu tête de mule sur ses choses là, quand je prend une décision, je n'ai pas envie de me remettre en question par la suite. Toutefois, je suis aussi très complexe, donc si je ne veux pas passer des jours à parler de moi, il faudra que j'arrête cette description ici. Je risquerais de vous ennuyer à la longue. Mais bref, Galway rock the docks hein! »

DOYEN ▬ « Bien, il me semble que je ne vais pas abuser plus de votre temps. Je vous remercie de votre patience et de vos réponses. Nous nous recroiserons dans les couloirs, sans doute. »

NOREEN ▬ «Merci à vous Monsieur. J'ai été très heureuse de faire plus ample connaissance avec vous. Je trouve cela admirable que vous preniez le temps de rencontrer les étudiants de votre université pour en apprendre sur eux. Bonne fin de journée. »

Après qu'il m'ait donné mon congé, je repassai par les même couloirs pour me rendre dans ma salle de classe, avec un petit arrêt à la salle de bain. Bien qu'il était un peu trop curieux sur certains sujets, je trouvais réellement que ce que le doyen faisait était bien. Certains profs ne prenaient même pas la peine dans savoir plus, et lui, il s'en donnait à coeur joie! En tout cas, il semblait être un homme bon et gentil.